23 octobre 2025 au 29 novembre 2025
Ma première rencontre avec Didier Demozay remonte à 2005, accueillie par son épouse Elisabeth et lui-même, à son atelier dans le Var. J’avais vu ses expositions chez Jean Fournier et à l’Hôtel des arts à Toulon. Ce matin de juillet, il m’avait présenté son travail avec une timidité qui contrastait étonnamment avec l’audace et la nudité de sa peinture, dont la facture impatiente, presque rude, traduisait un absolu refus du « fini ».
Depuis, la peinture de Didier Demozay ne m’a jamais quitté, ni les mots économes et précis qu’il choisissait pour la commenter.
Avec les années, j’ai vu sa peinture se dépouiller, composée d’abord de trois formes, puis de deux, et parfois d’une. Et toujours la couleur, la réalité physique de la couleur, lumineuse, sans mélange, en équilibre.
« La peinture de Demozay procède d’un dépouillement qui ne laisse subsister que l’évidente immédiateté de la perception physique de la couleur et de son espace ».1 Le terme qui convient est effectivement celui du peu, disait Yves Michaud, au sens de la réduction et de la restriction des effets, de la concentration sur le peu de choses, sur la qualité de l’expérience plutôt que sur sa richesse de détermination et de références.2
Cette peinture est traversée d’une tension entre équilibre et mouvement, entre achèvement et inquiétude, elle fait naître une couleur lumineuse, vibrante, active. Ce que je tente de faire est de contenir les différents éléments qui font la peinture. Je ne cherche ni à construire, ni à déconstruire, non rien de tout cela, mais simplement mettre en place les figures dans un rapport à l’espace… Contenir la tension entre les figures, confronter la couleur, l’espace, le fond, établir un rapport figure-couleur qui m’interroge, provoque en moi cette émotion, cette tension si nécessaire… Ma peinture ne se regarde pas comme un tableau terminé, fini, auquel il n’y a plus rien à ajouter, non, mais comme une peinture en train de se faire. Laisser la peinture dans l’état du faire, du peindre et poursuivre, continuer à en explorer les limites. Rechercher, douter, provoquer, détruire, recommencer son travail, ne pas le figer, laisser la peinture, la couleur, là où cela devient impossible. »3 disait le peintre de son travail.
Je reprendrai les mots de Marcel Cohen, qui résumait ainsi l’impression que lui avait laissée la rencontre avec Didier Demozay lors de son exposition en 2007 dans la galerie Fournier : « le sentiment d’avoir été là aussi intensément que notre capacité de regarder la peinture nous l’avait permis. »4
MCaroline Allaire-Matte
Cette exposition à la galerie AL/MA, quelques mois après le décès du peintre, nous permet de retrouver l'œuvre de Didier Demozay. Dans les quelques dessins et peintures présentés, on peut percevoir l'intensité de ce travail de la couleur, avec des moyens de plus en plus épurés à la fin de la vie de l'artiste. Cette œuvre importante continue ainsi à vivre et l'exposition initie également un nouveau regard sur cette recherche exigeante qu'a menée l'artiste toute sa vie. Développée dans une relative discrétion, elle a participé pleinement à une évolution de la peinture non figurative des quarante dernières années, en France mais aussi en Allemagne ou aux États-Unis et, aujourd'hui, l'énergie de ces grandes surfaces colorées continue de se transmettre à notre regard.
Romain Mathieu, historien de l'art, Maître de Conférences à l'Université Paul Valéry Montpellier 3
1 Romain Mathieu, in Didier Demozay : Affrontement, art press, avril 2016
Didier Demozay est né en 1950 ; il est décédé le 27 mars 2025.