08 septembre 2024 au 19 octobre 2024
Rencontrée à Supervues (Hôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine) en 2022, Anna Jaccoud proposait alors une intervention in situ et un travail de dessin typographique, réalisé avec une machine à écrire. Invitée en 2023 par la galerie AL/MA au salon Paréidolie à Marseille, elle a continué à développer ce protocole de travail en parallèle avec sa pratique du volume. Anna Jaccoud a 22 ans, elle est étudiante en dernière année à l’École des Beaux-arts de Paris, après avoir commencé son cursus au MOCO, ESBA. Le moment est venu de présenter sa première exposition, tant sa démarche est exceptionnellement maîtrisée.
Décoincer est une invitation à un pivotement du regard et de nos perceptions, pour chercher le sens d’un lieu. Décoincer se veut un ensemble de pièces qui questionnent l’espace – ici, celui de la galerie, d’une neutralité apparente et faussement évidente ‒
« J’imagine les éléments architecturaux, les cloisons et leurs angles, comme des éléments organiques et intimes, à l’image des êtres humains qu’ils accueillent : 4 murs, 12 arêtes, 12 sommets et 12 angles, 1 plafond, 1 sol, 6 surfaces. Je distingue les éléments qui composent un espace en les autorisant à s’exprimer en tant qu’entités, pour en révéler l’enveloppe, qui ainsi se prolonge, mue, se déplace, se débloque, se détend, s’inverse et échappe à sa condition homogène, figée, cernée, uniforme : Les angles ne sont pas droits. »1
Les sculptures d’Anna Jaccoud interrogent notre perception du lieu de plusieurs façons : par mimétisme d’abord, le choix des matériaux, réemploi de chutes de médium blanc qui exige un regard attentif pour détacher l’œuvre de son contexte. Puis par l’usage de la greffe, geste ambiguë qui modifie la structure de l’espace sans s’en détacher. Les « coins » (qui sont des sculptures de coin), ont été réalisés en 2024 spécifiquement pour cette exposition. Ils se caractérisent par un dos à 90°, assuré par les 3 équerres qui mentionnent l’angle et permettent sa mesure. « Dans cette position, la sculpture vérifie donc si l’angle est droit, souvent ce n’est pas le cas, en même temps qu’elle prolonge le mur auquel elle se greffe. Elle le transforme par hybridation. Décoincée, la sculpture est autonome. » 1
L’étendu, sculpture suspendue, créé un espace dans l’espace, la corde y dessine une courbe, mettant en évidence le poids du module.
Au mur, Anna Jaccoud présente un ensemble de dessins typographiques à la machine à écrire issus de plusieurs séries. Sondés, Pliés, Exquadrare, Enveloppes, font référence à des process différents tout en impliquant toujours la machine à écrire devenue son outil, guidée par ses contraintes et les découvertes dont elle explore et exploite les potentialités sur divers papiers. Dans ses dessins, Anna Jaccoud revendique l’accident qui participe et transcrit son geste.
Le nom Sondés est inspiré par le processus de réalisation : « c’est un travail très en proximité avec le papier que je décrypte, dont je sonde la surface, avant d’en retranscrire la lecture avec les touches de la machine que je maîtrise, en y tapant le caractère que je perçois, qui convient pour tendre vers un dessin libre et organique. C’est une série dans laquelle j’utilise davantage les signes de ponctuations pour imaginer un nouveau langage. » 1
La série des Pliés se caractérise par l’utilisation de la lettre o comme motif unique, tapée de façon répétitive, ligne après ligne, et qui, selon la force de (la) frappe va perforer ou non, la feuille pliée, révélant un dessin symétrique.
Réalisée en corrélation avec l’exposition Décoincer, la série Exquadrare, sorte de « dessins-équerres », fait référence à l’univers de la bureautique. On découvre un jeu de pliage complexe sur papier millimétré bleu.
Les Enveloppes réitère l’intérêt d’Anna Jaccoud pour les usages détournés du papier. Elle utilise dans cette série le procédé des Sondés sur enveloppes dépliées extraites de son courrier. « Je choisis le bleu des enveloppes pour créer de nouvelles évocations, un nouveau langage en réorientant l’utilisation de la typographie. » 1
Le Rapporteur (2023) est perçu ici comme un martyr, utilisé pour former un angle, et « rapporter » ce qu’il convient de taire, de cacher. Il témoigne des recherches d’atelier : les rayures sur sa surface ont été mesurées avec un rapporteur et chaque angle inscrit avec un tampon encreur de bureau. Deux rapporteurs sont fixés pour mesurer les angles des deux planches coupées qui se croisent.
Pochettes gaffées (2024) est un assemblage de réemploi composé de pochettes à 3 rabats bleus. Elles sont accolées pour ne former qu’une surface, consolidée à l’aide de chutes de plaques de métal, accrochées avec du scotch « gaffer » noir. La forme en volume tire parti de leurs pliages et de leurs rabats.
Dans les travaux sur papier et les volumes, Anna Jaccoud emploie exclusivement des matériaux déjà utilisés, chutes de médium ou de bois laminé, papiers usagés ou abandonnés.
1 Notes de travail, Anna Jaccoud, 2024