08 décembre 2023 au 03 février 2024
La galerie AL/MA présente un ensemble de 200 dessins indissociables réalisés en 2006-2007. Ce polyptique de 280 x 840 cm a été exposé en 2011 au Domaine de Kerguéhennec puis en 2012 à la Villa Tamaris (La Seyne-sur-mer). Réalisées avec une mèche lente sur papier A3, les traces de combustion laissent apparaître un dessin qui tend vers une symétrie impossible. Si chacun des gestes de Christian Jaccard est exercé avec rigueur, conceptualisé et contrôlé, il se confronte cependant aux incertitudes des traces accidentelles : l’artiste doit s’y adapter afin de les intégrer dans sa démarche ‒ le feu et sa fumée ne sont en rien des com¬plices dociles. Ne pas intervenir sur le papier c'est se refuser à l’accomplissement d’un certain désir. Ainsi le désir se soumet aux exigences comme aux impondérables du feu et de sa combustion ; entre la passion et l’instinct ils s’abandonnent aux caprices du hasard et se renouvellent au fil du temps.
Christian Jaccard explore la notion de temporalité (apparition/disparition ou destruction/création) par l’expérimentation du processus de combustion et du tressage de nœuds (le Concept supranodal) à partir de 1986. Son œuvre s’organise donc autour de ces deux gestes.
Au début des années 70, Christian Jaccard choisit le feu et la combustion pour effectuer ses recherches sur la trace, l’empreinte, la marque, voire le hasard dans la dispersion des fumées et de leurs suies ; mais aussi, et de façon plus souterraine, sur la destruction et la régénération et les symboliques qui leur sont associées. Agent de purification autant que de destruction, de lumière que d’obscurcissement, de dévoilement que de recouvrement, le feu possède une force dynamique, dialectique rassemblant création, métamorphose et destruction. Les compositions d’empreintes de feu se succèdent sur des draps puis sur des cuirs. La trace résiduelle des fumées et goudrons apparaît comme forme esthétique de la catastrophe dont la dimension picturale semble évidente. Le feu devient l’agent déterminant des vestiges de la combustion. De 1977 à 1983, de nouveaux ensembles se succèdent :Trophées, les Anonymes calcinés (1979-1981), toiles anonymes soumises à la combustion, puis « réparées » réhabilitées par biffures. De 1989 à 1990, il inaugure les Brûlis, terme emprunté au vocabulaire agricole, synonyme de technique de fertilisation. Dans la chronologie de son œuvre, Les pics de combustion (1999-2001), suggérés par les « flambées » de la Bourse, révèlent des diptyques où l’évolution des brûlis agit par infiltration dans la texture du support, révélant ainsi la transformation chimique de la matière et le pouvoir transcendantal du feu dans la couleur.
Que ce soit sur toile, papier, ou dans des interventions in situ (l’une d’elles est toujours visible à l’abbaye de Lagrasse, Aude), le feu reste cen¬tral dans son œuvre, perçu comme l’élé¬ment le plus approprié pour mener ses expériences.
Christian Jaccard utilise “un feu domestique, à portée de la main” : à savoir, la mèche lente capable de produire une chi¬mie première propre à fabriquer traces et “érections”. Et aussi ce qu’il en reste — la suie. Dans les années 2000, avec ses travaux à l’extérieur dans des lieux en déshérence, friches industrielles (Friche de la Seita à La Belle de Mai, Marseille, 2001 ; Friche de Ligugé, Poitiers, 2003), puis dans des lieux patrimoniaux (abbaye Saint-André à Meymac, 2012 ; abbaye de Lagrasse, 2017 ; abbaye d’Orval en Belgique, 2020) et dans les institutions (Musée des Beaux-Arts de la Chaux-de-Fonds, 2002 ; MAC VAL 2014), la problématique du tableau s’émancipe de l’atelier et change d’échelle. De ces interventions éphémères, ne subsistent que ce que nous transmettent les films et les photographies.
« Déclencher la combustion c’est lancer quelque chose qui se déploie de lui-même selon ses critères propres en produisant de l’aléatoire, de l’empirique. (…) Le feu appartient à la nature au sens le plus large. Il est principe de lumière et de destruction. Du coup, les réminiscences renvoient aussi, de manière totalement délibérée, à l’antinomie des choses. Mais les choses antinomiques ne sont pas forcément incohérentes… »1
1Dominique Demartini, entretien avec Christian Jaccard, 2002
https://dfxdemartini.wordpress.com/entretiens-avec-des-artistes/entretien-avec-christian-jaccard/
Repères biographiques
Christian Jaccard, d’origine suisse, est né en 1939 à Fontenay-sous-Bois. Il étudie à l’Ecole nationale supérieure d’art de Bourges entre 1956 et 1960. Il est graveur chromiste dans une imprimerie typographique de 1964 à 1975 avant de devenir enseignant à l’Ecole d’art et d’architecture de Marseille en 1976. Il réside au Japon à la Villa Kujoyama en 1994. Il vit et travaille à Paris et à Saint-Jean du Gard.