11 septembre 2020 au 24 octobre 2020
L’œuvre de Patrick des Gachons s’inscrit dans une démarche artistique qui caractérise un nombre restreint d’artistes qui ont choisi de travailler à l’intérieur de contraintes préétablies. Par exemple, Roman Opalka, On Kawara, pour citer ceux dont il se sent le plus proche. En intervenant en amont de la mise en œuvre, la contrainte définit les modalités de la réalisation en précisant sa progression. Il s’agit ainsi, comme l’écrit Paul Valéry, de « reporter l’art que l’on met dans l’œuvre, à la fabrication de l’œuvre. [De] Considérer la composition même comme le principal […] ».1
2014 - Le passage du temps, Musée d’art moderne, Céret, photo Robin Townsend
Si la poésie a assimilé ce concept à un enjeu et un jeu poétiques, le recours à la contrainte dans l’art contemporain le conduit à une limite paradoxale. Ce qui définissait l’art ‒ l’originalité, l’imprévisibilité et l’exemplarité ‒ n’est plus pertinent. Cette pratique oblige ainsi à repenser la création en la ramenant non plus à un mystère mais à une procédure réglée.
La proposition de Patrick des Gachons se traduit dans un processus de travail enregistrant une progression qui est à la fois une méditation sur le temps et sa définition : une toile carrée blanche et en son centre un carré bleu. Cette série, sobrement nommée Programme de vie, commencée « suivant le rapport 50/100 (carré bleu/carré blanc) en 1983, devra atteindre 100/100 en 2033 » 2. Chaque année le carré progresse de 1/100. Le bleu recouvre lentement la surface pour, un jour, parvenir à recouvrir totalement la toile. Afin d'obtenir un bleu très intense, plusieurs couches de peinture à l’huile (jusqu'à soixante-dix) sont nécessaires. C'est donc un travail de patience mais également de précision, réalisé à main levée et sans cache.
Son séjour en Sicile entre 1968 et 1969 marqua profondément Patrick des Gachons et son travail s'en trouva fortement influencé. Durant cette période « Patrick des Gachons assimile le paysage méditerranéen et sa lumière en leur offrant la surface de ses carrés pour que leur image s'y réfléchisse pleinement » 3. Entre 1980 et 1983, il réalise une trentaine de « pseudo-paysages » qu'il nomme « Méditerranéité » inspirés de son expérience en Sicile.
À trente ans il acquiert le Château de Fraïssé-des-Corbières (Aude) qu'il restaure durant plusieurs années. Le château, en plus d’être son atelier et sa résidence, servira également de lieu d'accueil, chaque été pendant 25 ans, à une exposition dédiée à un artiste proche du minimalisme (Olivier Mosset, Daniel Buren, François Morellet, Cécile Bart, etc.). L'acquisition de ce lieu favorisa le processus de radicalisation de sa peinture passant ainsi des « pseudo-paysages » aux premiers carrés bleus. Ces peintures « forment une sorte de mémoire de ce qui constitue l'existence et, de ce fait, sont à placer dans la lignée des démarches artistiques qui visent à intégrer les données de la vie à celles de l'art.4». Elles se divisent en plusieurs types d'œuvres : les « œuvres finies », c'est-à-dire les peintures réalisées suivant la règle de l'année. Par exemple pour les toiles réalisées en 2020, le carré bleu représente 87/100 de la toile, celles de 2021 représenteront 88/100, etc. Les « mises à jour brutales » sont, elles, la reprise de tableaux plus anciens qui subissent une mise à jour où le carré bleu peint à une époque antérieure se voit agrandi afin de souscrire à la règle de l'année en cours. Le carré de l'année d'origine restant toujours visible sous les couches de peinture plus récentes, témoigne ainsi du passage du temps.
Dans les œuvres in situ peintes à l'intérieur ou à l'extérieur et directement sur les murs, deux sous-catégories sont à distinguer : les œuvres finies ou les œuvres évolutives, ces dernières subissant une mise à jour annuelle où le carré bleu augmente de 1/100.
Et enfin la « colonne de vie », succession de tableaux de petits formats (18x18cm) représentant toutes les années y compris celles précédant 1983.
Invité en 2014 par Nathalie Galissot, conservatrice du musée d’art moderne de Céret, Patrick des Gachons a pu réaliser une rétrospective de 31 ans de travail dans des conditions exceptionnelles, lui permettant entre autres, de déplacer une de ses œuvres majeures, Le bloc de temps, soit un ensemble de 32 toiles de 180 x 180 cm, présentées au sol, perpendiculairement au mur, les toiles parallèles les unes aux autres et espacées régulièrement – ses archives, en somme.
À partir du 12 septembre, l’œuvre de Patrick des Gachons sera également présente dans l’exposition collective, La vie dans l’espace, au MRAC à Sérignan.
1Paul Valéry, Ego scriptor et Petits poèmes abstraits, présentation de J. Robinson, Paris, Gallimard, 1992, p. 171.
2Patrick des Gachons
3/4Maurice Fréchuret, ancien conservateur des musées nationaux des Alpes maritimes, critique d’art, Patrick des Gachons, work in progress, Panoplie, 2010.
Patrick des Gachons est né en 1944 à Limoges. Il vit et travaille à Fraïssé-des-Corbières.
Expositions (sélection)
2020 - Galerie AL/MA, Montpellier ; La vie dans l’espace, exposition collective, MRAC, Sérignan.
2014 - Le passage du temps, Musée d’art moderne, Céret.
2011 - Galerie AL/MA, Montpellier ; Galerie L’Isba, Perpignan ; Galerie du Tenyidor, Collioure ; La peinture autrement, Musée Chagall, Nice.
2010 - In Situ, Licence III, Perpignan ; Mise à jour 2005-2010, CAPC, Musée de Bordeaux.
2009 - La Collection, le LAC, Sigean.
2007 - Première phase d’une œuvre évolutive in situ, collection privée, Saint-Cyprien.
2006 - Idea per un Museo, La Collection du nouveau Musée de Monaco, Rome ; La Collection, Sérignan.
2005 - L’œuvre en programme, CAPC, Bordeaux.
2004 - Artistes du Languedoc, Espace Gustave Fayet, Sérignan.
2003 - Nouveaux travaux, Patrick des Gachons, François Ristori, Philippi Seux, Galerie Arnaud Lefèvre, Paris.
2001 - Galerie Arnaud Lefèvre, Paris.
2000 - Première phase d’une œuvre évolutive, collection privée, Roquefort-les-Pins.
Bibliographie récente
Le passage du temps, Nathalie Gallissot, Voix éditions, 2014
Steve Reich chez Patrick des Gachons, Frank Mallet, artpress, juillet-aout 2011.
Patrick des Gachons, une œuvre in progress, Maurice Fréchuret, Panoplie – artistes LR, 2010.
Patrick des Gachons, Blue Squares, Jean-Michel Bouhours, artpress, juillet-aout 2009.
Les quatre horizons de Patrick des Gachons, Jeanette Zwingenberger, L’œuvre en programme, CAPC, Musée d’art contemporain de Bordeaux, Fage éditions, 2005.