17 juin 2020 au 18 juillet 2020
Depuis plusieurs années Agnès Fornells, artiste montpelliéraine, séjourne régulièrement à Mexico et développe en lien avec l'espace public de cette ville un travail essentiellement photographique, mais qui a donné lieu ici à des réalisations en céramique, à des textes et des travaux graphiques ainsi qu'à des projets d'édition. Cette exposition présente un choix d'ensembles photographiques inédits, en lien avec d'autres réalisations issues du même monde d’images, et permet de rendre compte de ses recherches récentes.
Le titre Peinture entre guillemets, suggère un doute concernant le statut de peinture -entre celle du bâtiment, celle sauvage ou bricolée dans l'espace public, et celle du tableau dans une exposition où aucune peinture au sens strict ne sera présentée. L'idée de ce titre provient d'un graffiti photographié à Mexico, reproduit sous forme de gravure. Intitulée "Pintura", cette pièce fait partie d'une série de plaques en céramique dédiées à des inscriptions furtives, où le style lapidaire des formules se retrouve gravé dans la terre cuite. Dans deux éditions de journaux au format tabloïd, chaque page représente un mur et chaque mur constitue une page, et si l'on n'y trouve rien d'autre que des photographies, la présence de lettrages dans les images elles-mêmes renvoie à l'écrit et à l'information habituellement attendus dans un journal.Cette circulation discrète des mots dans les images et sur les céramiques, on la retrouve également dans l'attention portée aux titres, tels que celui de Faire tache. Choisi pour un triptyque dans lequel des graffitis ou des lettrages sur des murs ont été effacés de façon tellement visible que la trace de l'effacement produit une autre tâche aussi présente que l'antérieure, Faire tache renvoie à l'idée de détoner de façon gênante mais aussi au langage pictural. De même !Aguas Aguas Aguas!, littéralement "Les eaux! (ter)", expression équivalant à "chaud devant" en français, est le titre d'un ensemble d'images où l'on voit des rebouchages faits à la va-vite qui forment comme des nuages pluvieux, ou bien des images présentant des noms de lacs en guise de nom de rues. Ce titre allie l'idée de la pluie ou d’une étendue d’eau avec l'idée d'éclaboussure et d'accident potentiel. Individuellement chaque photographie de la série est nommée par une inscription visible dans l'image. Les images proviennent de la série intitulée Fondos, qui présente des vues frontales de pans de murs extérieurs à Mexico où se superposent des inscriptions, des graffitis, des taches, des altérations, des rebouchages, des retouches de peintures, des affiches et autres traces matérialisant par couches successives le passage du temps. Le cadrage serré isole chaque pan de son environnement, cependant il peut inclure des détails significatifs du contexte. Il résulte de ces vues, réduites à un seul premier plan, des compositions qui renvoient à l'idée de peinture, bien qu'elles soient simplement le résultat de divers usages de l’espace public ou de pratiques quotidiennes et urbaines. Dans certaines vues, des noms de rues apparaissent, qui sont aussi des noms de mers -ou de lacs-, ce qui induit une autre lecture, poétique ou imaginaire du même mur, et redonne une certaine profondeur au plan sans perspective. Ces "toiles de fonds" aquatiques et picturales ont parfois été reconfigurées par les séismes de septembre 2017 et la série s’est élargie en 2019 avec des murs bâchés, des murs écroulés, des murs supports d’ombres portées, des devantures fermées... D'autres éléments prélevés dans cet espace urbain lointain, et ré-interprétés à travers différents biais, viennent ponctuer la circulation physique ou visuelle parmi les échantillons de couleurs des images encadrées sur les murs. Par exemple des journaux déposés que l'on peut consulter, une plaque commémorative rendant hommage aux graffitis mexicains, une sculpture jouant le rôle d'entrave... Celle-ci est issue du projet Zone de réserve qui propose une interprétation en volume de la série de photographies ¿Emplacement réservé? (2016/2018), tentative d’inventaire des "apartalugares" composés et déposés dans les rues de Mexico afin d’entraver le stationnement. Bien que réalisés sans intention artistique, les "apartalugares" présentent plusieurs notions propres à la sculpture, telles que l’assemblage, le moulage ou l’équilibre. Le projet s’est déterminé en prenant comme modèle les diverses formes résultant de cette pratique urbaine et quotidienne, et s’inspire de ce motif de l’occupation de l’espace public. Une résidence à l’atelier Artelinea en 2018 a permis d’expérimenter et de produire des pièces qui combinent des techniques propres à la céramique avec des objets et des matériaux de récupération. Celle intitulée Apartalugar bidon, posée au sol, fait office de premier plan devant une image murale proche de l'échelle 1, qui place le spectateur dans un coin de rue rapporté. Ainsi, une mise en scène faussement trompe-l’œil opère sur les principes de "premier plan" et de "fond", en lien avec une vision picturale, celle de murs cadrés comme des tableaux, ou celle des coulures, des couleurs et des matières patinées -ou ajoutées- sur les céramiques.
Dans cette exposition, l'apparition et l'effacement successifs des mots accompagnent le déploiement des motifs photographiques dans une dérive urbaine remise en scène, par diverses modalités plastiques qui empruntent pourtant chacune sa pertinence aux usages de la peinture.
Agnès Fornells est née en 1974 à Béziers, elle vit et travaille à Montpellier.