26 octobre 2018 au 01 décembre 2018
Cette exposition rassemble des dessins d’Ѐve Gramatzki jamais présentés et de périodes différentes - le plus ancien date de 1973 et constitue un des très rares exemples de sa période figurative, qui l’a faite connaitre à Paris alors même qu’elle exposait à la galerie d’Iris Clert. Inspirée, dans les années 70, par un réalisme objectif, dont la matière des tissus et des objets vestimentaires étaient le motif, Ѐve Gramatzki a développé plus tard une œuvre sur papier, plus « abstraite » mais toujours traversée par la texture des choses. Le geste y est sensible et rigoureux, laissant apparaitre dans un réseau de lignes serrées, le plus souvent horizontales, l’affleurement de la couleur. Un geste qui dit une existence entre présence et retrait.
Ses œuvres sont dans les collections du Centre Georges Pompidou, du Musée des Ursulines à Mâcon, du Musée Fabre à Montpellier, du FNAC etc. et dans de nombreuses collections privées en France et en Allemagne.
Exposée en 2009 à la galerie AL/MA, l’œuvre de cette artiste avait fait l’objet la même année d’une rétrospective au musée Fabre de Montpellier à la suite de la donation Marc Jaulmes.
Ѐve Gramatzki est née à Königsberg (Kaliningrad, dans l’ancienne Prusse Orientale) en 1935. En 1944, l’invasion russe contraint sa famille à se réfugier à Hambourg, alors qu’elle a 9 ans. Elle étudie aux Beaux-Arts de Hambourg de 1956 à 1961. À 27 ans, elle s’installe à Vanves, près de Paris. La jeune femme rencontre Joan Mitchell, Aurélie Nemours et Anne Tronche, critique et écrivain, qui suivra sa carrière et écrira régulièrement sur son travail jusqu’à sa disparition en 2003. En 1980, Ѐve Gramatzki s'installe en Ardèche, dans un lieu retiré où elle réalisera la majorité de ses œuvres. Femme de forte personnalité et de grande culture, Ѐve Gramatzki restera marquée par la guerre et l’exil auquel elle fut contrainte. Ce déracinement aura déterminé son parcours solitaire et son œuvre trop peu connue. Elle meurt tragiquement en 2003 à Paris.
« L’œuvre intimiste d’Ѐve Gramatzki requiert de la part du spectateur une disponibilité, un abandon des repères traditionnels pour se perdre dans un espace qui n’est ni physique ni atmosphérique. Il s’agit plutôt d’un espace mental pour lequel l’imaginaire ne sera guère utile, parce que la vision intérieure est d’un autre ordre. L’artiste recourt aux mines de graphite, aux pigments sur papier pour son approche pudique de la lumière. La ténuité des moyens s’accorde au non-dit, à ce qui ne peut s’écrire, ni s’énoncer. L’impalpabilité de l’air rejoint celle des poussières de lumière, dont la présence imperceptible passe par un trait, par quelques hachures ordonnées dans un champ délimité mais dont on perçoit l’immensité. Peu de couleurs, pour une quasi-monochromie toute en vibration. Gramatzki balaie d’un souffle coloré le silence qui précède le premier son. Son geste est celui qui émerge d’un corps dépositaire de la mémoire originelle. Alors il énonce, lentement, apprivoisant chaque ligne, chaque maille qui tisse la grille de lumière. Cette partition incarnée, parcourue de cadences régulières, à la façon du battement du pouls, réveille nos émois oubliés. Cette économie et cette simplicité sont celles que requiert la méditation. Pour cette artiste qui affirmait qu’« on ne travaille pas avec le cœur, mais avec la tête », chaque trace était présence. S’approcher du visible, sans le secours de l’image, en percevoir le passage, la trace et l’effacement, jamais les mêmes, toujours recommencées, était une tentative de réponse au mystère de la vie. Ѐve Gramatzki a été jusqu’à ce point de non-retour, laissant à son œuvre la mission de nous initier à ces espaces de lumière. »
Lydia Harambourg Gazette Drouot n°7 du 22 février 2008 (page 157).