30 septembre 2016 au 10 novembre 2016
Deux expositions : Mehdi Moutashar et Vanessa Notley
Moutashar : Lastic
« Apparu récemment dans la boîte à outils de l’artiste, tantôt associé au métal tantôt matériau unique de l’oeuvre, l’usage du fil élastique tendu entre deux points s’est chargé sans crier gare de réactiver – au propre comme au figuré, et avec cette part de jeu devenue de plus en plus évidente ces dernières années – ce qui aimante depuis toujours le champ d’exploration de ses recherches : la question de l’orientation.
Un moyen, en fait, plutôt qu’un matériau, tant l’objet est dépourvu de vie au repos, quelque chose comme un vecteur (juste une idée au fond…), qui se serait de lui-même invité dans le travail d’un artiste déjà peu attaché aux séductions de la matière. Pour le coup, c’est malicieusement au hasard du plus simple des gestes électroniques – le pointeur d’une souris d’ordinateur tirant une ligne sur une esquisse d’architecture – que s’est nouée l’affaire.
La tension du fil, suspendue aux deux clous qui l’organise, dessine, mais plus encore désigne : moins une ligne qu’un courant, la vibration d’une énergie. La voir soudain surgir à la toute dernière seconde de l’accrochage a quelque chose de magique, dont la modestie des ingrédients augmente la surprise – quelques pointes fichées au mur, la pelote anodine d’un élastique roulé en boule… ; l’élastique progresse, lentement d’un point à l’autre, fine mesure d’un espace, puis d’un coup fend le vide dès que la main le lâche, segment moulé à l’exacte mesure de l’instant.
On perçoit bien, ensuite – dans le frémissement du tracé qui ne cesse de s’élancer, à cette ligne qui est là sans l’être, mais surtout toujours en train de se faire – ce qui relie naturellement ce nouveau processus aux périodes précédentes d’un travail qui ne cesse de se préoccuper de la continuité du mouvement. Le corps du clou aidant, c’est tout juste si le tendeur effleure la surface, et ce vide minuscule qui persiste entre le fil et le support agit comme un ressort supplémentaire, et la transparence qu’il libère conduit le mouvement au-delà de la forme. Une mécanique simple, un presque rien, que rien n’arrête.
Dès lors, dans la chorégraphie toujours renouvelée des angles et des plis qui orchestre l’ensemble de l’oeuvre, l’élastique s’inscrit du bout des doigts comme un être ou un fragment mathématique, avec cette légèreté, cette absence de poids qu’il partage avec la lettre et qui fascinent tant l’artiste dans la profondeur de l’écriture…
Lastic, comme un nouveau chapitre, en somme, d’une dédicace ininterrompue à l’arabesque. »
M.M.Serres
Notley : Les Vestibules
« Le vestibule est une pièce ou un couloir qui donne accès à un intérieur. En anatomie, il désigne la cavité de l’oreille interne. C’est une antichambre qui filtre, un espace dont l’accès peut être accepté ou refusé, un entre-lieu qui permet d’hésiter et, en anglais, le « mudroom » désigne un lieu de débarras, on y laisse ses bottes boueuses.
Les cornets acoustiques (ear trumpets) du 18ème et 19ème siècle, sont des objets façonnés avec des matériaux divers aux formes sculpturales étonnantes. Ils sont à la fois prothèse et entrave. Ce qui m’interpelle est le fait qu’un objet aussi encombrant puisse améliorer notre rapport au monde tissé de langage. Les mots, les phrases, le sens et l’intention parviennent aux oreilles, avec une prothèse, de manière amplifiée, voire agressive.
La question se pose alors : comment détermine-t-on ce qu’on voudrait écouter et ce qu’on accepte d’entendre ?
On devient actif dès lors que l’on filtre les paroles dérangeantes, négligentes, paresseuses.
Dans Les putes voilées n’iront jamais au paradis, Chahdortt Djavann écrit à travers les mots de Golnâz, une prostituée iranienne : « Il y a des tas de clients qui se donnent de l’importance en faisant des phrases…Moi je les regarde, mais ne les écoute pas, parce que nous ne sommes pas payées pour qu’ils fassent entrer leurs phrases dans nos oreilles. »
Les vestibules intitulés I wont, Golnâz, Les anglaises, Hairy Mary, renvoient à l’image d’une passoire : un réceptacle qui peut ou pas filtrer les paroles et le discours des autres.
Comme Ellsworth Kelly, j’aime le caractère de l’objet, son assise, la place qu’il occupe et son dessin. L’acier noir utilisé dans ces sculptures se prête à la netteté et à la précision de la ligne, son façonnage est simple ; coupé, plié, soudé. Les fils de cuivre qui s’entrelacent et s’entremêlent à l’intérieur et à travers la surface sont parfois tendus, tordus, bouclés, ébouriffés. Ils augmentent et épaississent le volume et le corps de l’acier à l’intérieur et à l’extérieur. Pour donner un caractère… élaboré, embarrassant, drôle… et narratif. »
Vanessa Notley