Le double héritage
L’art de Mehdi Moutashar se tient à distance de toute volonté d’exprimer une expérience subjective du monde, comme de tout recours aux pouvoirs de l’image. L’univers auquel il appartient est celui, rationnel, de la ligne droite, de l’angle mathématiquement déterminé, de l’opposition du noir et du blanc.
Ainsi conditionnée par la logique formelle et la réduction des moyens plastiques, une telle démarche artistique participe de l’esthétique minimaliste. Mais elle dépasse le What you see is what you see d’un Frank Stella pour engager une interrogation qui va au-delà de la forme elle-même, une interrogation qui se situe aux confins de la forme et de l’idée.
Elle invite à la contemplation des lois de la géométrie. Cependant, les figures que l’artiste donne à voir ne sont jamais enfermées dans les limites d’un contour. Ce sont des figures ouvertes, fragmentaires et en constant déplacement, des figures qui refusent de s’immobiliser. Parfois, celles-ci deviennent signes, des signes angulaires et comme inachevés, qui paraissent flotter dans l’espace blanc du mur ou de la page.
Cette géométrie qui laisse pressentir un ordre mathématique premier sans jamais le manifester sous une forme définitive, cette géométrie toujours en devenir, relève d’une esthétique qui plonge ses racines dans une culture propre à l’artiste.
Son art est en effet à la confluence de deux héritages artistiques. Le premier est l’héritage occidental de l’abstraction géométrique, dont l’histoire commence avec les pionniers de l’abstraction – Mondrian, Van Doesburg, Malevitch ou Lissitzky – et se poursuit avec les artistes du Hard Edge, de l’Op’ Art, de l’Art cinétique ou du Minimal Art. Le deuxième est celui de la tradition esthétique islamique, qui, peu encline à redoubler les apparences du monde, accorde une place de choix à l’ordre géométrique et aux déploiements de la ligne, en particulier dans l’art de l’entrelacs ornemental ou dans celui de la calligraphie.
Le travail de cet artiste franco-irakien, aujourd’hui très identifié, aussi bien en Europe que dans les pays arabes, se manifeste par un intérêt constant pour les fondements de sa culture à travers l’alphabet koufi (dont le module de base est le carré) et les mathématiques. Il faut noter l’importance de la calligraphie et de l’arabesque contemporaines dans l’ensemble de son travail et sa manière d’appréhender l’espace : dessins, collages, pièces murales en trois dimensions, constructions monumentales avec une grande diversité de plans, de formats et de matériaux.
Le lien le plus manifeste avec sa culture irakienne transparaît dans le parti de tout fonder sur l’idée de mesure, et à travers une unique unité de mesure, que ce soit la trace en forme de carré que laissait autrefois le roseau taillé pour l’écriture, ou ce module ancestral aux proportions immuables que constitue la brique.
C’est cette logique et cette philosophie que l’on retrouve à l’œuvre aussi bien dans le concept initial de l’arabesque que dans l’articulation exponentielle des trames, des entrelacs, des coupes, des plis que l’artiste met en jeu dans toutes ses productions.